Rares sont les professions libérales dont les honoraires ne sont pas administrés qui se plaignent de n’être pas assez rétribués pour les services qu’ils rendent. C’est bien un paradoxe en effet que de déplorer la faiblesse de sa rétribution quand on est en théorie libre de la fixer à la hauteur qu’on estime correcte, de la façon la plus libre. À la faveur d’un colloque organisé le 10 avril dernier au Conseil économique, social et environnemental par l’UNIS, Plurience (l’association des majors de l’administration de biens) et l’UNPI, pour les soixante ans de la loi du 10 juillet 1965, tous les sujets ont été mis sur la table des débats, y compris celui de la reconnaissance économique des syndics professionnels. Avec à l’appui un sondage réalisé par l’institut IPSOS auprès d’un échantillon représentatif de copropriétaires, qui livre deux révélations majeures, à interpréter. D’abord, 40 % des copropriétaires ignorent la part des charges qu’ils acquittent revenant au syndic pour sa rémunération, et 25 % affirment la connaître approximativement. Cette seconde réponse, pour difficile à apprécier qu’elle soit, par définition de l’imprécision dont elle témoigne, atteste aussi d’une forme d’ignorance. En général, qu’on parle au public du prix d’un produit ou d’un service, il le connaît. Qui sort d’un restaurant sans savoir le montant de la note s’il l’a acquittée ? Qui ne se rappelle pas du prix de la consultation de son médecin attitré ? Qui hésiterait sur le montant de la facture payée à son avocat pour un dossier récent ? On est ainsi tentés de considérer que les deux tiers des copropriétaires ne savent pas ce qu’ils acquittent au syndic de leur immeuble. C’est d’évidence une pathologie commerciale quant à la relation entre ces professionnels et leurs clients. Elle est même aggravée par le type de lien entre les deux : un mandataire est dépositaire d’une mission de confiance, plus encore qu’un prestataire, et le flou quant à la dimension économique du contrat de mandat est pour le moins singulier… Quel enseignement ? Le point de départ d’une saine négociation sur un montant d’honoraires tient à la transparence de ce que chacun paie. Là, en l’occurrence, on mesure ce qui se passe : le montant des honoraires globaux pour le syndicat des copropriétaires est connu, mais il ne l’est que par ceux qui suivent la vie de leur copropriété et encore chacun ignore-t-il sa part de la facture. Bref, la transparence a des progrès à accomplir.
Par quels moyens les syndics peuvent-ils y parvenir ?
Car le syndic pâtit de son rôle de percepteur : au rang de ses missions de base, recouvrer les charges constitue une obligation cardinale, et, dans les appels, toutes sont fusionnées.
La présidente de l’UNIS a publiquement réclamé aux éditeurs de logiciels professionnels d’isoler clairement les honoraires dans les appels de charges. Cette voie simple sera efficace à n’en pas douter, et on peut se demander pourquoi elle n’a pas plus tôt été empruntée… Le pire est que c’est sans doute pour ne pas appuyer là où cela fait généralement mal, le prix de l’intervention du professionnel, ici d’une insolente modicité. Les syndics pourraient aussi informer dès la signature de leur contrat chaque copropriétaire de ce qui lui incombera des honoraires, pour une prise de conscience sans équivoque. D’autant que les résultats de l’enquête IPSOS créent un second choc, peut-être plus important encore. Chez les 35 % des copropriétaires qui assurent connaître le montant des honoraires, les idées sont peu claires… au point que chaque copropriétaire pense acquitter en moyenne à leur syndic 141 € mensuels. C’est en gros ce qui leur est demandé… pour une année de gestion ! Pour être tout à fait honnête, 10 % parmi ceux qui croient savoir sont dans l’épure. Les autres s’égarent gravement. Deux lectures, qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre. La première a été suggérée par le directeur de l’institut de sondage : les copropriétaires attendent tellement du syndic qu’ils n’imaginent pas verser des honoraires inférieurs à cette somme. Une sorte de projection et de justification a posteriori, sur fond de méconnaissance de la réalité. Et puis on peut aussi, à non-droit, estimer que les copropriétaires seraient prêts à payer à ce niveau le travail du syndic : ils répondent à la question sans révolte, sereinement. Pourtant, les syndics ne parviennent pas dans leur écrasante majorité à casser une sorte de plafond de verre, qui devient de fait le prix du marché. Ils échouent à fixer plus haut ce niveau moyen d’honoraires, certes variable selon les villes, mais avec un écart type réduit. Ils incriminent le contrat unique imposé par le législateur de 2024, mais c’est un autre sujet : le minimum de missions qu’il fixe n’empêche ni de se différencier en ajoutant, ni de calculer un prix plus élevé que le marché. Sauf que cette volonté doit être collective, et doit l’être sans concertation pour ne pas tomber sous le coup des ententes illicites. Comment un sursaut de fierté peut-il se faire jour ? Une condition sine qua non tient à la qualité de service et à l’éthique la plus irréprochable. Une autre tient à l’éveil de toute la profession et de la communauté des copropriétaires : le patrimoine d’une copropriété et de chacun de ses membres ne mérite-t-il pas plus de 15 € par mois — chiffre moyen constaté en France — et par copropriétaire ? Enfin, soyons sérieux…