La notion de travaux occupe une place centrale dans l’organisation juridique du statut des immeubles bâtis. On ne compte pas moins de 158 itérations dans les cinquante articles de la loi du 10 juillet 1965 et près d’une soixantaine dans le décret du 17 mars 1967.
C’est dire s’il s’agit d’un concept cardinal dont l’examen demeure particulièrement éclairant. Si le regard est en effet le reflet de l’âme – pour reprendre un dérivé de la fameuse formule de Cicéron – la copropriété est celui de la société. Et si, à bien des égards, la loi de 1965 demeure un texte fondateur, c’est aussi un texte vivant, naviguant entre permanence et innovations, pour s’adapter aux évolutions de la société et de l’économie, en tenant compte des difficultés rencontrées dans sa mise en œuvre, des apports de la doctrine et de la jurisprudence. Les grandes lignes de l’évolution des travaux en copropriété depuis 60 ans révèlent les préoccupations des pouvoirs publics et les enjeux sociétaux. Ainsi, le législateur de 1965 entendait surtout protéger le droit de propriété individuel du copropriétaire, alors que le législateur moderne œuvre pour la préservation du patrimoine collectif, tant au niveau de l’immeuble qu’en replaçant celui-ci au cœur des nouveaux enjeux de la cité. D’un immeuble siège de la propriété individuelle – ce droit « inviolable et sacré », si cher aux juristes – on passe progressivement à un immeuble levier d’action pour la mise en œuvre des grandes politiques publiques d’amélioration de l’habitat et de protection de l’environnement, au point d’ailleurs que certains n’hésitent pas à évoquer une forme de « dirigisme et d’immixtion des pouvoirs publics dans les relations privées ». Les catégories de travaux illustrent ces transformations : de cinq en 1965 (travaux de conservation et d’entretien, travaux rendus obligatoires en vertu d’obligation réglementaires, travaux d’amélioration, travaux de surélévation et de construction de nouvelles parties privatives et les travaux de reconstruction de l’immeuble), on en compte désormais quatorze, parmi lesquelles les travaux d’économie d’énergie, les travaux d’accessibilité aux personnes handicapées, les travaux de mise aux normes des logements… Il s’agit moins désormais d’entretenir les immeubles que d’éviter leur dégradation en favorisant la planification puis le vote des travaux et, à terme, d’obliger les copropriétaires à réaliser les travaux de rénovation énergétique de leur immeuble pour répondre aux normes de basse consommation à l’horizon 2050.
Faciliter les travaux d’entretien et d’amélioration
L’un des premiers objectifs de la loi du 10 juillet 1965 était de permettre de voter à la majorité les travaux d’amélioration de l’immeuble. Depuis, nous assistons à un véritable bouleversement des majorités applicables aux travaux. Le législateur a, immanquablement, cherché à faciliter le vote des travaux par un mouvement continu de baisse des majorités, notamment par la loi Alur du 24 mars 2014. L’ordonnance du 30 octobre 2019 avait, dans le même sens, pour but de « favoriser la prise de décision au sein de la copropriété en faisant primer la gestion collective sur les intérêts particuliers de chaque copropriétaire et d’éviter les blocages de quelques copropriétaires à la réalisation de travaux nécessaires, décidés par la majorité d’entre eux ». Désormais, il n’y a plus de travaux stricto sensu soumis à la double majorité de l’article 26 de la loi de 1965 et le mécanisme de la passerelle est généralisé, permettant un vote au cours de la même assemblée générale, mais avec une majorité moindre.
Encourager la prévention
Diagnostic Technique Global (DTG)
Pour donner aux copropriétaires une vision d’ensemble sur l’état de leur immeuble, un diagnostic technique global (DTG) a été instauré par la loi Alur. Plusieurs fois modifié, et dernièrement par la loi du 9 avril 2024, dite « loi Habitat dégradé », il est aujourd’hui codifié à l’article L. 731-1 du Code de la construction et de l’habitation qui fixe les grandes lignes de son contenu. Ce document comporte notamment une analyse de l’état apparent des parties communes et des équipements communs de l’immeuble, un état technique de l’immeuble et des équipements communs au regard des obligations légales et réglementaires au titre de la construction, une analyse des améliorations possibles de la gestion technique et patrimoniale de l’immeuble, un diagnostic de performance énergétique de l’immeuble. Il fait également apparaitre une évaluation sommaire du coût et une liste des travaux nécessaires à la conservation de l’immeuble, à la préservation de la santé et de la sécurité des occupants et à la réalisation d’économies d’énergie, en précisant notamment ceux qui devraient être menés dans les dix prochaines années.
Diagnostic de performance énergétique (DPE)
Tout bâtiment d’habitation collective dont le permis de construire a été déposé avant le 1er janvier 2013 doit aujourd’hui disposer d’un DPE collectif ; outil d’évaluation énergétique des immeubles. Il vise principalement à estimer la consommation d’énergie et les taux d’émission de gaz à effet de serre d’un bâtiment collectif. Si la loi ne prévoit aucune sanction en cas de non-réalisation d’un DPE collectif, de non-souscription à un contrat de performance énergétique ou à l’absence d’un plan de travaux d’économie d’énergie, il n’est pas exclu que la responsabilité du syndicat des copropriétaires puisse être mobilisée dans les années à venir.
Plan pluriannuel de travaux (PPT)
La loi Alur prévoyait également que l’ordre du jour de la première assemblée générale suivant la réalisation du diagnostic comportât la question de l’élaboration d’un plan annuel de travaux qui présentait cependant un caractère facultatif. Sa réforme avait été annoncée, mais finalement abandonnée par l’ordonnance du 30 octobre 2019. Le plan pluriannuel des travaux s’est cependant invité dans le cadre du projet de loi issu de la transcription des propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Et la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 l’a précédé par un projet de plan pluriannuel de travaux (PPPT), inscrit désormais à l’article 14-2 de la loi du 10 juillet 1965. Les copropriétaires ont désormais l’obligation d’élaborer un projet de plan pluriannuel de travaux, à l’expiration d’un délai de quinze ans à compter de la date de réception des travaux de construction de l’immeuble. Si le plan en tant que tel n’est pas une obligation, il n’est pas certain que la responsabilité du syndicat des copropriétaires, désormais en charge de l’amélioration de l’immeuble,
ne puisse pas, là encore, être engagée.
Anticiper le financement
Les grandes orientations contemporaines impliquent un financement de plus en plus lourd, dont il n’est d’ailleurs pas certain que les outils actuels puissent y faire face.
Le fonds « Alur »
Avant la loi ALUR, les copropriétaires pouvaient voter des provisions spéciales pour travaux , en vue de faire face aux travaux d’entretien ou de conservation des parties communes et des éléments d’équipement commun. Ces provisions facultatives ont été remplacées, à compter du 1er janvier 2017, par le fonds de travaux que la « loi Climat et résilience » a rendu obligatoire dans les immeubles à destination totale ou partielle d’habitation, à l’expiration d’une période de 10 ans suivant la date de réception des travaux de construction de l’immeuble. Ce fonds peut concerner quatre sortes de dépenses : l’élaboration du projet de plan pluriannuel de travaux et, le cas échéant le diagnostic technique global, la réalisation des travaux prévus dans le plan pluriannuel de travaux lorsque ce dernier est adopté par l’assemblée générale ; les travaux décidés en urgence par le syndic en vertu de l’article 18, I, alinéa 3, les travaux nécessaires à la sauvegarde de l’immeuble, à la préservation de la santé et de la sécurité des occupants et à la réalisation d’économies d’énergie, travaux non prévus par le plan pluriannuel de travaux. Les cotisations trimestrielles obligatoires sont versées sur compte bancaire dédié.
Souscription d’emprunt par le syndicat
Depuis la loi Warsmann du 22 mars 2012, la souscription d’emprunts en copropriété est possible. Toutefois, en pratique, l’offre bancaire pour ces emprunts s’est révélée très insuffisante au regard des besoins de la rénovation énergétique. C’est la raison pour laquelle la loi habitat dégradé a réformé le système en instaurant un emprunt collectif qui s’impose désormais à l’ensemble des copropriétaires.
Les années ou mois à venir nous diront si les acteurs concernés se saisiront de ce nouvel outil qui, en période de crise structurelle, risque tout de même de se révéler insuffisant au regard des enjeux.







